10 juillet 2019 - cérémonie en l'honneur des 80 parlementaires

La cérémonie en l’honneur des 80 parlementaires ayant refusé de voter les pouvoirs constituants au Gouvernement Pétain, le 10 juillet 1940 à Vichy, s’est tenue ce 10 juillet 2019 en présence de Richard Ferrand. Après des dépôts de gerbes sur le parvis du Palais des congrès-Opéra, Frédéric Aguilera et Richard Ferrand, entre autres, ont pris la parole devant une assemblée restreinte composée d’officiels et de descendants des 80 parlementaires.

 

10 juillet 2019
Opéra de Vichy


Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,

Madame la Préfète,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Député, Rapporteur général de la commission des Finances,

Madame la Députée,

Monsieur le Président du Conseil départemental,

Mesdames et Messieurs les élus régionaux, départementaux et municipaux,

Monsieur le Président du Comité en l’honneur des 80 parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Présidents d’associations culturelles, historiques, militaires et patriotiques,

Mesdames et Messieurs,

Bienvenue, sur cette scène de l’Opéra de Vichy, pour la deuxième année consécutive, pour commémorer le vote des 80 parlementaires. Cette magnifique salle symbolise le mariage des excellences vichyssoises : une culture vivante, ouverte sur le monde, aussi bien qu’un patrimoine unique, celui d’une ville qui prétend, avec ses 2000 ans d’histoire, à son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, je suis particulièrement honoré de vous accueillir. Votre présence est un acte fort en hommage aux 80 parlementaires.

Elle rappelle aussi la portée nationale de leur geste. Présence qui restera gravée sur la plaque commémorative que nous venons de dévoiler. Avec cette plaque, l’identité des 80 se trouve inscrite dans la durée, livrée en exemple au regard des Vichyssois, des touristes curieux, des Français fiers de leur histoire et confiants dans l’avenir, si l’on sait se souvenir. Symbole aussi, car cette plaque est présente sur le parvis que le Conseil municipal vient, à l’unanimité, de dénommer Parvis Simone-Veil. Décision hautement symbolique que nous concrétiserons en septembre à l’occasion d’une cérémonie. Faire figurer côte à côte Simone Veil, victime avec sa famille de la barbarie du nazisme, et les 80 qui se dressèrent en 1940 pour sauver la République, c’est affirmer la victoire de la démocratie sur toutes les dictatures.

C’est cet hommage rendu à la démocratie qui nous rassemble ce matin, comme tous les 10 juillet, pour saluer comme il se doit le geste de ces élus qui, en votant « non » au projet de loi présenté par Pierre Laval, refusèrent d’accorder « les pleins pouvoirs constituants » à Philippe Pétain.

80 parlementaires qui, dans un contexte de compromission, firent le choix d’affirmer leur conviction.

80 parlementaires qui rejetèrent l’idéologie réactionnaire inscrite dans l’ADN de ce Gouvernement.

80 parlementaires qui eurent l’audace et le courage de s’extraire de la masse. « tu veux avoir la vie facile ? », disait Nietzsche, « Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui ». La valeur exemplaire de ces hommes, c’est d’avoir su résister à la tentation majoritaire du prétendu « sauveur », entre les mains duquel il était commode d’abandonner ses propres responsabilités. Ces 80 parlementaires sont à compter au nombre des premiers résistants français. Tandis qu’à Londres, le Général de Gaulle portait la voix de la Résistance extérieure, ils ont montré qu’à Vichy – en France occupée – des Français, au sein même des institutions de la République, continuaient le combat.

Ces hommes furent l’honneur de notre République, quand le Régime de l’Etat français, sous la férule de Philippe Pétain, en fût le déshonneur et la honte. Un régime qui impulsa la loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs ». Un régime politique qui livra ses compatriotes – nos compatriotes – à l’ennemi et à la mort systématique en raison de leur religion. Cette marque d’infamie est gravée au coeur de notre histoire de France. C’est un cauchemar collectif dont la République portera encore longtemps les stigmates.

Vichy aussi porte les stigmates de cette histoire qui ne passe pas. Vichy, choisie par les autorités françaises après un long périple qui les mena de Tours à Clermont-Ferrand en passant par Bordeaux. Nous connaissons tous ici les raisons techniques qui présidèrent au choix de Vichy. Des raisons liées à la renommée de la station thermale, « Reine des Villes d’eaux ». Au sens propre du terme, Vichy fût victime de son succès. Vous l’avez compris : Vichy n’a rien demandé. Vichy a subi. Vichy a souffert. À Vichy, il y eut des collaborateurs, et à Vichy, il y eut des résistants.

À Vichy, il y eut des Justes parmi les nations, et à Vichy, il y eut des déportés. À Vichy, comme dans toutes les villes de France, il a fallu s’adapter au contexte d’une brusque défaite militaire. Mais à Vichy, plus que dans toute autre ville de France, nous supportons, 79 ans après, la stigmatisation, l’amalgame et le poids pesant de toute la honte française. Une population d’autant plus injustement pointée du doigt que son histoire s’est construite à travers l’ouverture sur le monde, la curiosité et la bienveillance à l’égard des étrangers, à l’image de son patrimoine architectural.

En réalité, Vichy est victime d’un mal récurrent qui touche toute notre Nation : le déni français. Ce déni français, c’est notre réticence collective à regarder notre passé droit dans les yeux. Notre refus d’assumer les pages les plus sombres de notre roman national. Notre incapacité à nommer la réalité. Ce déni français s’exprime à travers la confusion verbale systématique entre le nom de notre Ville et le régime politique de l’Etat français. Il est tellement plus facile d’enfermer le point noir de l’Etat français dans le mot « Vichy » que de faire notre examen de conscience national. Plutôt que d’admettre une réalité : les actions menées par Pétain furent menées par le gouvernement de France, au nom de la France. Robert LIRIS, un enseignant qui prône l’analyse de l’histoire à l’aune de la psychologie, résume ainsi cette situation : « Vichy, c’est court, ça claque, et ça évite la compromission nationale. C’est un raccourci utile ! ».

De son côté, l’historien Henry ROUSSO, parle d’un syndrome, et même d’une névrose. D’un syndrome et d’une névrose de dimension nationale. Un Président de la République a eu le courage de s’emparer de cette question du déni Français, c’est Jacques CHIRAC qui, en 1995, reconnut officiellement la responsabilité de la France dans la déportation de milliers de Juifs. Pourtant, plus de 20 ans après, rien n’a changé. Vichy est toujours la victime de cette Occupation qu’elle n’a pas voulue, qu’elle n’a pas soutenue. Victime de cette névrose nationale. Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, je forme le voeu que la France entende la blessure profonde des Vichyssois.

Mais, bien plus grave à mes yeux que la seule situation des 25 000 Vichyssois, l’usage répété de l’expression « Régime de Vichy » empêche de faire oeuvre de mémoire et de pédagogie, et laisse croire que la République Française ne peut pas être concernée par une dérive totalitaire, validée par sa représentation démocratique. Pourtant, dans cette période où les populismes progressent, il serait plus que salutaire de se souvenir et d’assumer collectivement cette dérive. C’est aussi le sens de la commémoration de ce matin. Vichy regarde son passé en face. La France doit aussi regarder le sien et sortir de ce déni.

Comme l’écrivaient Jean Sagne et Jean Marielle, les 80 parlementaires rappellent à chacun la fragilité de la liberté et l’honneur de la politique. C’est aujourd’hui, à notre génération, d’assumer cet honneur.

Je vous remercie.