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10 juillet 2022 : cérémonie en l'honneur des 80 parlementaires

La cérémonie en l’honneur des 80 parlementaires ayant refusé de voter les pouvoirs constituants au Gouvernement Pétain, le 10 juillet 1940 à Vichy, s’est tenue en présence de Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale. Après des dépôts de gerbes sur le parvis du Palais des congrès-Opéra, Frédéric Aguilera, Maire de Vichy et Yaël Braun-Pivet, entre autres, ont pris la parole devant une assemblée composée d’officiels et de descendants des 80 parlementaires.

 

 

 

10 juillet 2022
Opéra de Vichy


Madame la Présidente de l’Assemblée Nationale,

Madame la Préfète,

Monsieur le Député,

Monsieur le Sénateur,

Mesdames et Messieurs les élus régionaux, départementaux et municipaux,

Monsieur le Président du « Comité en l’honneur des 80 parlementaires et des passagers du Massilia», mon cher Joseph BLETHON

Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,

Mesdames et Messieurs,

 

Madame la Présidente,

Bienvenue à Vichy, Reine bimillénaire des villes d’eaux, dorénavant inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.

Je suis très honoré de votre présence à Vichy pour commémorer la mémoire des 80 parlementaires qui ont refusé de voter, dans cette salle, les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain le 10 juillet 1940.

Ces 80 parlementaires ont, par leur vote, réalisé le premier acte de « résistance institutionnelle » pour reprendre les mots du Général De Gaulle.

 

Madame la Présidente, En choisissant de venir à Vichy, pour votre première cérémonie officielle, vous marquez votre volonté d’honorer les femmes et les hommes dont le courage et la lucidité furent l’honneur de notre République.

Permettez-moi aussi de souligner le symbole que constitue votre présence, il y a quelques minutes, sur le Parvis Simone Veil, première Présidente du Parlement européen, vous qui incarnez dorénavant la première femme Présidente de notre assemblée nationale. Une femme dont l’histoire, celle de votre famille, se confond avec la page d’histoire sur laquelle nous sommes amenés à réfléchir aujourd’hui. Pour toutes ces raisons, je vous renouvelle mes sincères remerciements.

 

Au-delà de la portée constitutionnelle de ce vote du 10 juillet 1940, cette date marquera à jamais le moment où la République sombra, où l’État français entama son processus de collaboration avec l’Allemagne nazie. Un processus qui ira jusqu’à l’indignité, par l’adoption des lois anti juives.

Peut-on imaginer pire pour un État que de livrer ses propres enfants, à l’image du jeune Vichyssois Michel CRESPIN qui périt en déportation à l’âge de 6 mois au camp d’extermination d’Auschwitz ?

À l’heure où des apprentis sorciers cherchent à réécrire notre histoire,

À l’heure où les extrémistes n’ont jamais été aussi nombreux au sein de la représentation nationale dont des nostalgiques du Pétainisme,

À l’heure où l’antisémitisme et le racisme progressent,

Nous avons le devoir de nous souvenir, le devoir de transmettre, le devoir d’assumer ce passé sombre de notre pays, pour éviter que le pire ne se reproduise.

C’est dans cet esprit que nous venons de décider d’un partenariat entre le Mémorial de la Shoah et la Ville de Vichy et que nous organiserons en août un cycle de conférences sous l’autorité de Serge Klarsfeld pour commémorer les 80 ans des rafles du Vel d’Hiv et du 26 août 1942 en zone libre.

 

Madame La Présidente,

Vous le savez, 80 ans après, la France a encore du mal à regarder cette période en face. Elle a encore du mal à accepter que ses institutions peuvent être fragiles, et, qu’entre de mauvaises mains, elles peuvent commettre le pire.

Il aura fallu attendre 50 ans et le discours du Président Jacques Chirac en 1995 pour mettre un terme à ce déni officiel. 50 années d’une réécriture historique qui voulait faire croire que la collaboration n’était pas le fait de la France, en tant que machine administrative et politique, mais d’une sorte de branche illégitime de l’État.

Dans le même esprit, comment expliquer que le Président Macron fut le premier Président de la République en 80 ans, à venir à Vichy pour une visite mémorielle ?

80 ans, pendant lesquels la ville de Vichy s’est interrogée sur cet ostracisme.

Je remercie le Président Macron d’avoir rappelé que, je cite : « Cette histoire ce n’est pas à Vichy seule de la porter, c’est l’histoire de la France. Et en effet c’est ce régime de l’État français qui a décidé de collaborer avec l’occupant.» fin de citation

Voilà, Madame la Présidente, la raison profonde de mon combat contre l’expression « Régime de Vichy ». Cette expression qui entretient la légende basée sur un postulat tronqué en vertu duquel « c’était Vichy, ce n’était pas la France ».

Cette manière d’orienter le récit historique de notre pays, et la persistance même de ce déni, constituent un vrai danger pour l’avenir.

 

Mesdames, Messieurs,

En commémorant aujourd’hui ces 80 parlementaires, nous rendons hommage à la démocratie, comme tous les 10 juillet.

80 parlementaires qui eurent l’audace et le courage de s’extraire de la masse.

80 parlementaires qui ont su résister à la tentation majoritaire du prétendu « sauveur ».

Pour conclure,

Écoutons les mots d’Augustin Malroux, député du Tarn et instituteur de métier dans une lettre adressée à sa fille au lendemain du vote. Je cite : « Ceci est mon testament politique. Je veux que vous sachiez qu'en des heures tragiques, votre papa n'a pas eu peur de ses responsabilités et n'a pas voulu être parjure. J'ai été élevé dans l'amour de la République, aujourd'hui on prétend la crucifier. Je ne m'associe pas à ce geste assassin, je reste un protestataire, j'espère le rester toute ma vie pour être digne de ceux qui m'ont précédé et ne pas les faire rougir. »

Augustin Malroux est mort en déportation le 10 avril 1945.

Ces 80 parlementaires furent l’honneur de la République.

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie.

Discours de la Présidente de l'Assemblée nationale, Mme Yaël BRAUN-PIVET,
à l’occasion du 82e anniversaire du vote des 80 parlementaires
qui ont refusé l’attribution des pleins pouvoirs à Pétain
Vichy, dimanche 10 juillet 2022

Monsieur le maire de Vichy, cher Frédéric Aguilera,
Madame la préfète de l’Allier,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le président du Comité en l’honneur des « 80 », cher Joseph Bléthon,
Mesdames et messieurs les représentants des autorités militaires et des associations,
Mesdames et messieurs,

Que restait-il de l’esprit du Serment du jeu de Paume, ce 10 juillet 1940 ? Que restait-il de cette promesse de ne jamais se séparer, et de continuer à se rassembler partout où les circonstances l’exigeraient ?

Ce jour-là, l’Assemblée nationale fut l’artisan de sa propre chute. Et elle emporta avec elle la France toute entière. 

Cette cérémonie est ma première depuis que mes pairs m’ont élue Présidente de l’Assemblée nationale. J’y tenais. J’y tenais du fait de mon histoire personnelle et de l’histoire de famille, dont j’ai eu l’occasion de parler récemment. J’y tenais car je crois profondément à la nécessité de regarder en face les zones d’ombre de notre Histoire. C’est l’un des traits qui caractérise le courage politique. Il en a déjà beaucoup été question aujourd’hui. J’y tenais car ce sont dans ces zones d’ombre que se révèle le mieux l’éclat de ceux qui ont porté une lumière. 

Les « 80 », auxquels je veux à mon tour rendre hommage, à l’unisson de vous tous qui m’avez précédée, étaient de ces porteurs de lumière. Quelques-uns des premiers à avoir allumé la flamme de la résistance. Ici à Vichy, ils ont sauvé l’honneur de la Représentation nationale.

Je vous remercie donc, Monsieur le Maire de Vichy, cher Frédéric Aguilera, pour votre invitation et l’organisation de cette cérémonie si importante. Je remercie aussi le Comité en l’honneur des 80 parlementaires et son président, cher Joseph Blethon, dont le travail est inestimable. Sans oublier évidemment mes chers collègues parlementaires Nicolas Ray, député de l’Allier, le Président Claude Malhuret et Bruno Rojouan, sénateur de l’Allier.

 

Ce 10 juillet 1940, alors qu’il leur était demandé de donner « tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain », ces Quatre-Vingt Parlementaires ont dit non. Pour les Français. Au nom de la République. Au nom des principes que nous avons hérités de 1789 et qui constituent aujourd’hui encore notre bien commun le plus précieux. 

Ceux de la Déclaration des droits de l’homme dont le préambule nous enseigne que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements ». 

Ceux de la Troisième République qui avait puisé dans les idéaux de 1789 pour transformer en profondeur notre pays et garantir la liberté de la presse ; l’enseignement gratuit, laïc et obligatoire pour les garçons comme pour les filles ; ou encore la séparation des Eglises et de l’Etat.

En quelques mots : ceux de liberté, d’égalité et de fraternité qui forment notre devise, notre socle et notre guide. 

Ces principes, c’est le rôle du Parlement que de chercher à les protéger en toutes circonstances. Comme c’est le rôle des responsables politiques que de savoir dire non aux tentations populistes et simplistes d’un jour derrière lesquelles se cachent bien souvent des années de marasme. 

C’est une conviction profonde chez moi, qui résonne peut-être plus fort encore aujourd’hui : en temps de crise, la seule voie d’action possible passe par l’intransigeant respect de nos institutions, de nos règles communes, de nos principes fondamentaux. 

Dans notre pays, la démocratie, la République, sont toujours les solutions. 

C’est en leur nom, que les 80 n’ont rien cédé. Ni à la peur, ni au désespoir, ni à la résignation. 

 

Le 10 juillet 1940, ils sont entrés dans l’histoire. Unis.

Et pourtant ce qui les caractérise, c’est bien leur diversité. 

Ces 23 sénateurs et 57 députés venaient de toute la France. Ils étaient des socialistes, d’anciens communistes, des radicaux, de gauche, de droite... Ils représentaient des aspirations et des territoires différents. Mais ils incarnaient une même ambition pour le destin du pays. 

Que valent nos différences politiques quand l’avenir de la France et des Français est en jeu ? Les Quatre-Vingt ont su se retrouver autour d’une cause plus grande que leurs divergences : la sauvegarde de la Nation. 

Là aussi, ils ont incarné ce que le Parlement porte en lui de plus beau : cette capacité, au nom d’une responsabilité commune qui nous dépasse, à faire primer toujours l’intérêt supérieur du pays. 

Plus qu’une capacité, c’est d’ailleurs une exigence. Une exigence qui fonde mon engagement et que je porterai avec plus de force encore dans l’Assemblée nationale qui est la nôtre aujourd’hui, ainsi qu’avec nos collègues du Sénat.

 

Le 10 juillet 1940, les Quatre-Vingt ont voté au péril de leur vie. Avec une force d’âme qui porte un nom : le sens du devoir. Avec ces qualités qui font toute la noblesse de l’engagement politique : le courage et la lucidité.

Deux d’entre eux, François Camel et Marx Dormoy, sénateur de l’Allier, héros de ce département, seront assassinés. Dix seront envoyés en déportation. Cinq n’en reviendront jamais : il s’agit de Claude Jordery, Augustin Malroux, Joseph-Paul Rambaud, Isidore Thivrier et Léonel de Moustier. J’ai une pensée ici pour son petit-fils, Charles de Courson, républicain exemplaire aux côtés duquel j’ai l’honneur de siéger à l’Assemblée nationale depuis maintenant plus de 5 ans. 

Le courage des Quatre-Vingt fait aussi écho à celui des 27 Parlementaires qui ont embarqué à bord du Massilia le 21 juin 1940, pour continuer le combat depuis Casablanca. Parmi eux, Georges Mandel, Jean Zay, Edouard Daladier, ou encore Pierre Mendès France.

Ces noms ont déjà été cités aujourd’hui. Mais je me devais de les dire à mon tour. 

Car tous, ceux du 21 juin comme ceux du 10 juillet, sont l’honneur du Parlement.

 

Alors que la France plongerait quelques jours plus tard dans une nuit sans fin et dans la barbarie la plus odieuse, leur diversité, leur courage, annonçaient en un sens ce que serait la Résistance, où tant de femmes et d’hommes s’engagèrent au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, conscients des risques qu’ils prenaient. 

Comme les 80, tous nous ont prouvé que le rassemblement n’est pas seulement indispensable quand l’essentiel est en jeu : il est possible. Oui, le sursaut républicain qui nous réunit ce jour forme avec chaque acte de résistance de cette période un tout cohérent qui doit continuer à nous inspirer.

Nous traversons une époque marquée par des instabilités majeures où le populisme attaque nos démocraties.

Nous ne pouvons pas rester impuissants devant une société qui se délite, ni face à la résurgence de la haine, du racisme et de l’antisémitisme. En janvier dernier, une étude révélait qu’un Juif sur deux avait déjà été victime d’insultes antisémites en France, et qu’un sur deux conseillait à ses enfants de taire sa religion.

Face à cela, la mémoire du 10 juillet et de tous ceux qui se sont levés pour dire non est plus précieuse que jamais.
 
Nous avons le devoir de nous souvenir. 

Nous n’avons pas le droit d’oublier.

 

République, courage, et devoir de mémoire : c’est bien de tout cela que la ville de Vichy est synonyme aujourd’hui ; c’est bien au regard de tout cela que la ville de Vichy est exemplaire. 

Monsieur le Maire, votre belle ville et ses habitants ne doivent jamais être confondus avec le régime qui a tâché de noir les pages de l’histoire de l’Etat français. Seule la paresse ou l’ignorance font dire à certains le contraire, et je les combattrai toujours, à vos côtés.

Mesdames et messieurs, 

Nous sommes tous ici les héritiers d’une grande Histoire. Regardons-la. Transmettons-la. 

Faisons-nous tous ensemble les voix de la France et de son message universel. Veillons tous ensemble à ce que notre patrie reste ce pays de liberté, d’égalité et de fraternité, cette terre des droits de l’Homme et des Lumières. Nous en avons le devoir impérieux, peut-être plus que jamais.

Ainsi que le disait Victor Hugo : « Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux ».

Ensemble, continuons à entretenir la flamme du 10 juillet 1940.

Vive la République, et vive la France.