La cérémonie en l’honneur des 80 parlementaires ayant refusé de voter les pleins pouvoirs constituants au Gouvernement Pétain, le 10 juillet 1940 à Vichy s'est tenue le jeudi 10 juillet 2025 à 11h. Frédéric Aguilera, Maire de Vichy, a eu l’honneur d’accueillir le Premier ministre François Bayrou et plus de 70 descendants des 80 parlementaires et des passagers du Massilia. Ensemble, ils leur ont rendu rendu hommage, 85 ans après leur refus courageux de voter les pleins pouvoirs à Pétain, ici même, le 10 juillet 1940.
Discours de Frédéric Aguilera
Cérémonie en hommage aux 80 parlementaires et aux 27 passagers du Massilia
10 juillet 2025
Opéra de Vichy
Monsieur le Premier ministre,
Bienvenue à Vichy, Reine des villes d’eaux, forte de deux mille ans d’histoire, et désormais inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.
C’est un honneur de vous accueillir aujourd’hui.
Votre présence prolonge celle du Président de la République en 2021. Première visite mémorielle d’un chef de l’État à Vichy depuis près de 70 ans. Elle marque une volonté claire : celle de regarder notre histoire nationale en face.
En venant ici, vous rendez hommage à 80 résistants, mais aussi aux familles présentes, qui portent avec fierté l’héritage républicain de leurs aïeux
Chères familles de :
Vincent BADIE, Paul BASTID, Paul BOULET,
Georges BRUGUIER, Séraphin BUISSET,
Auguste CHAMPETIER DE RIBES, Pierre CHAUMIÉ,
Arthur CHAUSSY, Léonel de MOUSTIER, Edouard FROMENT,
Justin GODART, Henri GOUT, Eugène JARDON,
François LABROUSSE, Albert LE BAIL, Victor LE GORGEU,
Justin LUQUOT, Alfred MARGAINE, Léon MARTIN,
Pierre MENDES FRANCE, Jules MOCH, Louis NOGUERES,
Jean PERROT, André PHILIP, Camille ROLLAND,
Henry SÉNÈS, Philippe SERRE, Gaston THIÉBAUT,
Isidore THIVRIER, Jean-Marie THOMAS, Jean ZAY
Michel ZUNINO,
Chères familles,
Soyez les bienvenues à Vichy.
Votre présence, dans ce lieu à la fois magnifique et chargé d’histoire, est un honneur immense.
Elle est le signe vibrant d’une mémoire qui ne se délite pas, d’un héritage républicain transmis avec gravité et fierté, de génération en génération.
Nous sommes réunis ici, dans cette salle de l’Opéra, non pour une cérémonie figée, mais pour un acte de fidélité.
Car, c’est ici, le 10 juillet 1940, que la République fut enterrée.
L’armée française était vaincue. Paris occupée. Les ministères dispersés. La peur généralisée.
Dans ce climat d’effondrement, les parlementaires furent convoqués à Vichy pour voter un texte unique, qui allait décider du destin de notre pays.
Ce texte n’était pas une loi comme les autres.
Il transférait la totalité des pouvoirs constituants à Pétain, lui donnant la liberté de rédiger une nouvelle Constitution.
Et au passage, de faire disparaître la République.
569 votèrent oui.
80 votèrent non.
Leur courage fit l’Histoire.
Ce vote, par une funeste légalité, donna naissance à l’État français.
Une entité nouvelle, issue d’un acte légal, mais en rupture radicale avec les principes fondateurs de notre Nation.
Ce régime collabora, persécuta, trahit. Il fut l’instrument docile de l’occupant, et le fossoyeur de la liberté et des droits.
En 1995, il y a 30 ans quasiment jour pour jour, Jacques Chirac eut le courage politique de reconnaître la responsabilité de l’État Français.
Il déclara, dans un discours resté dans l’Histoire :
« Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. »
Insister sur cette vérité n’est pas polémique.
C’est un acte de précision, de lucidité.
C’est lier clairement le vote du 10 juillet à l’instauration d’un régime qui a failli.
Et rappeler que : ce qui s’est passé, ici, à Vichy, ne relève ni du malentendu ni du hasard.
Mais au cœur de cette nuit politique, 80 voix se sont levées.
Des hommes, issus de tous les bancs – radicaux, socialistes, démocrates-chrétiens – ont dit non.
Un non simple, net, risqué, profondément républicain.
Vincent Badie, en quittant l’hémicycle, s’écria :
« Vive la République quand même ! »
Léon Blum, emprisonné, écrira plus tard :
« Aux moments redoutables de sa vie, l’homme ne la sauve qu’en la risquant »
Ces 80 parlementaires dirent d’une seule voix « non à la honte » et votèrent « contre le suicide de la France. »
Ils étaient peu.
Mais leur geste fut immense.
Ils n’ont pas empêché la chute.
Mais ils ont empêché le déshonneur.
Et comment ne pas évoquer ceux qui, quelques jours auparavant, embarquaient à bord du Massilia pour tenter de poursuivre la lutte ?
Paul Bastid. Pierre Mendès France. Jean-Marie Thomas. Jean Zay.
Leur exil, leur emprisonnement, parfois leur assassinat, témoignent du prix de la fidélité à la République.
Ces hommes nous ont laissé un héritage.
Pas une gloire figée dans le passé, mais une exigence pour l’avenir.
Cinq leçons en ressortent :
• Que la République n’est jamais acquise, qu’elle est un engagement de chaque instant.
• Que le Parlement est le cœur de notre souveraineté populaire.
• Que l’éthique doit toujours primer sur l’opportunisme ou la peur.
• Qu’il faut parfois risquer sa place pour sauver son honneur.
• Et que l’Histoire finit par reconnaître ceux qui ont tenu bon.
Ces leçons nous parlent encore.
Elles nous disent que la démocratie peut tomber.
Par fatigue. Par illusion. Par silence.
Mais qu’elle peut aussi tenir.
Par quelques voix.
Par le refus de céder.
C’est aussi le sens de notre engagement ici, à Vichy.
Nous n’oublions rien.
Vichy n’est pas l’État français.
Mais Vichy fut le lieu de ce basculement.
Et à ce titre, elle porte un devoir de mémoire que nous assumons pleinement et sereinement.
****
Chers descendants -et à travers vous, chers 80-
Vous êtes aujourd’hui les porteurs vivants de cette mémoire.
Grâce à vous, ces 80 ne sont pas des noms sur une stèle.
Ils sont des visages. Des principes. Des phares.
Pour leur geste, pour leur courage, pour leur fidélité à la République, nous leur disons : MERCI.
Et à nous tous d’être, aujourd’hui comme hier, dignes de leur exigence.
Vive Vichy.
Vive la République.