Remise de la médaille des Justes parmi les Nations au bénéfice d'Etienne Espinel

Le 24 avril 2023, a eu lieu la remise, à titre posthume, de la Médaille des « Justes parmi les Nations » au bénéfice d’Étienne Espinel, ancien buraliste à Vichy en présence de Philippe Espinel, son petit-fils et de Moshe Oren - Marcel Tannenbaum qui fut sauvé avec sa famille. Une cérémonie émouvante en présence de la famille de Moshe Oren, de Pierre-François VEIL, de Vered HELLER-BENBASSA, attachée culturelle de l’ambassade d’Israël à Paris et de nombreux écoliers, collégiens et lycéens de Vichy. Ils s’étaient rendus le matin Boulevard Denière, résidence de la famille Tannenbaum, et emplacement du bureau de tabac tenu à l’époque par Etienne Espinel, avant de rendre un hommage au cimetière de Creuzier-le-Neuf.

 

 

 

24 avril 2023
Mairie de Vichy


Madame la Sous-Préfète,

Madame l’attachée culturelle de l’Ambassade d’Israël à Paris,

Monsieur le Député,

Chers collègues, chers élus,

Monsieur le Président du Comité français pour Yad Vashem, Cher Pierre-François VEIL,

Madame Michelle LONDON, Présidente de l’Association Cultuelle israélite de Vichy et ses environs,

Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,

Monsieur Philippe ESPINEL,

Monsieur Moshe OREN, et votre famille

Mesdames et Messieurs,

Chers jeunes Vichyssois,

« Quiconque sauve une vie sauve l’univers entier » dit le Talmud. Cette phrase, gravée au dos de la médaille des Justes parmi les nations prend un sens concret aujourd’hui, car en sauvant la famille OREN - TANNENBAUM, c’est une famille de 350 descendants que sauva Étienne ESPINEL.

Monsieur Moshe OREN, permettez-moi de vous saluer chaleureusement. C’est un honneur de vous recevoir aujourd’hui à l’Hôtel de Ville de Vichy, vous qui avez tenu à faire reconnaître le geste héroïque d’Etienne ESPINEL, un Vichyssois qui fait dorénavant notre fierté.

Merci à vous Philippe ESPINEL d’être présent pour cet hommage à votre grand-père. Cette présence est un grand honneur.

Cher Pierre-Francois VEIL,

Dans son discours du 18 janvier 2007, à l’occasion de la cérémonie nationale en l’honneur des Justes de France, votre mère, Simone VEIL soulignait, je cite : « Pour la plupart, vous étiez des Français « ordinaires ». Citadins ou ruraux, athées ou croyants, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, vous avez hébergé ces familles, apporté réconfort aux adultes, tendresse aux enfants. Vous avez agi avec votre cœur parce que les menaces qui pesaient sur eux étaient insupportables. Vous avez obéi sous le coup d’une exigence non écrite qui primait sur toutes les autres. Vous n’avez pas cherché les honneurs. Vous n’en êtes que plus dignes ». Fin de citation.

Etienne ESPINEL fut un de ces héros du quotidien, un anonyme qui, durant l’occupation de la France, s’est levé pour protéger ses frères menacés d’une arrestation et d’une déportation vers les camps de la mort en ce mois d’avril 1944.

Déportation à laquelle n’ont pas échappé une trentaine de personnes raflées dans l’agglomération vichyssoise par la Gestapo, transférées le 21 avril à Drancy et presque toutes déportées le 29 avril à Auschwitz par le convoi numéro 72.

Période où d’autres arrestations furent aussi organisées à Vichy.

10 jours après, le 2 mai 1944, le jeune Michel CRESPIN, âgé de 5 mois, fut emmené. Il est décédé, quelques jours plus tard, à Auschwitz, assassiné par les nazis à 5 mois… 5 mois.

Il restera dans nos mémoires comme le plus jeune déporté de l’Allier.

Etienne ESPINEL, lui-aussi, restera dans nos mémoires.

Il a d’abord exercé le métier de charcutier avant de tenir le bureau de tabac du 22 boulevard Denière. Il fut un homme dont le dévouement pour sa Ville a ponctué sa vie, notamment en travaillant pour la Mairie de 1966 à son décès en 1971.

Etienne ESPINEL aura donc désormais son nom inscrit dans l’histoire de notre Ville aux côtés des 9 autres Justes vichyssois : François POTONNIER, Marie PELIN, Henri et Henriette JULIEN, Jean-Pierre TOQUANT, Henriette et René DUPHIL, Elisabeth et Pierre FRANÇOIS.

En célébrant aujourd’hui cet acte profondément humaniste d’un Vichyssois, on met une fois de plus en exergue, qu’à Vichy, cette ville à l’histoire bimillénaire, la réalité, comme dans le reste de la France, était bien plus complexe que le laissent penser les raccourcis sémantiques sur notre ville.

Oui, à Vichy s’était installé un gouvernement qui enterra la République le 10 juillet 1940, promulgua l’abject statut des juifs et collabora pour déporter des juifs, bien plus que ne l’espérait l’envahisseur.

Mais, c’est aussi à Vichy que 80 parlementaires, refusèrent de voter les pleins pouvoirs constituants à Pétain, le premier acte de résistance institutionnelle, pour reprendre l’expression du Général de Gaulle.

C’est à Vichy que sont apparus des Vichysto-résistants et que s’organisent, au cœur même du pouvoir, des réseaux de renseignement comme « Alliance », l’un des premiers et des plus actifs.

C’est à Vichy que, des Justes, reconnus ou non, sauvèrent des juifs.

À Vichy, comme en France, cette conscience collective, à rebours de l’Etat Français, permit de sauver de nombreuses vies, comme le souligne régulièrement Serge KLARSFELD.

En cette journée si particulière pour notre ville, je souhaite m’adresser à vous, jeunesse vichyssoise.

Ici-même, dans cette salle, le 19 février 1942, Pétain convoqua les 121 Préfets français pour qu’ils prêtent serment.

Parmi les Préfets présents, on peut citer René Bousquet, chef de la police du gouvernement de l’État Français, responsable de la déportation de milliers de juifs de la zone libre.

81 ans après, c’est dans cette même salle que je vous propose de méditer un autre serment. Le serment qu’à Vichy, plus qu’ailleurs, nous avons compris les leçons du passé.

À vous qui vivez dans une ville dont le nom est souvent associé aux heures sombres de la France, vous devez plus que tout autre français être porteur des valeurs humanistes qui ont forgé notre pays. Vous devez vous battre contre les discriminations liées aux origines, aux religions, aux orientations sexuelles.

Jeunesse de Vichy,

Vous devez, plus que tout autre français, comprendre que par un simple vote du parlement, on peut enterrer notre belle République et ses valeurs. Que nos institutions sont fragiles et que notre démocratie est trop précieuse pour être mise dans les mains des extrémistes. Que la France est capable du meilleur comme du pire, en fonction de nos choix collectifs.

Jeunesse de Vichy,

Regardez sans concession ces 4 ans de notre histoire pour forger le meilleur de vous-même.

Jeunesse de Vichy,

Regardez la richesse de nos 2000 ans d’histoire, en observant la diversité de notre patrimoine qui s’inspire du monde entier, comme ce dôme byzantin et ses 2 minarets, symboles de notre architecture. Cette diversité est notre véritable identité, une identité ouverte sur toutes les cultures.

À Vichy nous savons, que c’est grâce à cette diversité que nous bâtissons le meilleur et que nous pouvons être reconnus au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Jeunesse de Vichy,

Inspirez-vous d’Etienne ESPINEL.

Dans 2 jours, nous rendrons hommage à Jacques CHIRAC qui fit entrer les Justes parmi les Nations au Panthéon. À l’occasion de cette cérémonie il disait, je cite : « Vous, Justes de France, vous avez transmis à la nation un message essentiel, pour aujourd'hui et pour demain : le refus de l'indifférence, de l'aveuglement. L'affirmation dans les faits que les valeurs ne sont pas des principes désincarnés, mais qu'elles s'imposent quand une situation concrète se présente et que l'on sait ouvrir les yeux. Plus que jamais, nous devons écouter votre message : le combat pour la tolérance et la fraternité, contre l'antisémitisme, les discriminations, le racisme, tous les racismes, est un combat toujours recommencé. » fin de citation

Jeunesse de Vichy,

Voilà le sens de la cérémonie qui nous réunit aujourd’hui : vous transmettre les leçons du passé pour que vous bâtissiez un avenir meilleur.

Monsieur Moshe Oren, quand je vous regarde vous et votre famille, je me dis que, si Pétain avait effectivement répudié la République, heureusement l’âme et les valeurs de cette République Française vivaient toujours grâce à des Femmes et des Hommes comme Etienne Espinel, à qui nous rendons hommage aujourd’hui.

Je vous remercie.